Dans la plupart des crimes politiques la main de la justice n’atteint que des exécutants. L’opinion, les médias, la classe politique sont unanimes à déplorer, avec une sincérité variable, que les commanditaires n’aient pas été identifiés et punis.
L’instinct de justice élémentaire se trouvant bafoué, il est inévitable que le respect des citoyens pour l’institution judiciaire en soit amoindri: l’appareil répressif a manifesté son impuissance, voire, aux yeux de certains, une complicité “objective” avec les dissimulateurs en ne recherchant pas suffisamment la vérité.
Le scénario d’échec du droit s’est évidemment reproduit à propos de l’assassinat de Me Babacar Séye. Toutefois, dans cette affaire, les critiques adressées à la justice ont été particulièrement injustes, notamment de la part des défenseurs des accusés.
Ceux-ci ont reproché à la Cour d’Assises, comme précédemment à la Chambre d’Accusation, d’avoir refusé d’ordonner un complément d’information. En pratique ils demandaient une nouvelle instruction, mais sur les bases antérieures, impropres par nature à faire jaillir la lumière sur les inspirateurs du crime.
En effet une seconde expertise balistique pratiquée sans les armes, un second examen de la voiture de la victime, une reconstitution des faits laissée à la discrétion des accusés, ne pouvaient guère raisonnablement produire d’avancées significatives.
La défense a concentré ses efforts sur la mise en lumière des détails matériels de l’attentat. C’était de bonne guerre, jusqu’à un certain point, pour sauver la tête des accusés. Mais elle n’a pas suggéré la moindre piste sérieuse de recherche des commanditaires, se montrant sur ce terrain, aussi impuissante que l’accusation et les parties civiles.
Elle a même négligé d’user de la procédure normale pour provoquer l’audition des membres du gouvernement qui auraient pu être concernés.
Dans sa dernière phase, le procès des accusés a été quelque peu eclipsé par celui de l’instruction et surtout par celui des témoins. Loin d’avoir été menacé à aucun moment l’exercice des droits de la défense a servi au contraire de prétexte pour fouler aux pieds le droit des témoins au respect de leurs personnes.
A cet égard, l’observateur de la CIJ nous a confié qu’on a pu voir, sous les regards ironiques des tueurs, le malheureux garde du corps de la victime, dépassé par l’évènement, quasiment accusé d’avoir commis l’attentat au cours duquel il a été blessé. S’il y a eu atteinte aux droits de l’homme dans ce procès, c’est à l’encontre de ce témoin.
Senegal-murder of Babacar Seye-trial observation report-1995-fra (full text in French, PDF)