La CIJ réclame une enquête indépendante sur les sévices, arrestations et détentions par les Forces de la Coalition
la CIJ a réclamé la mise sur pied immédiate par les Forces de la Coalition d’une enquête indépendante et impartiale sur le traitement des détenus et l’ensemble du processus d’arrestation et de détention des personnes en Irak.
Cette demande intervient alors que la première cour martiale jugeant un soldat américain impliqué dans les sévices infligés à des détenus irakiens s’est achevée aujourd’hui.
« Les poursuites judiciaires à l’encontre de quelques individus qui ont commis ces crimes sont un début, mais ne sont pas suffisantes. Une enquête militaire interne telle que celle ayant abouti au rapport de Taguba n’est pas non plus satisfaisante », a dit Nicholas Howen, secrétaire général de la CIJ. « Une enquête indépendante devrait établir qui dans les chaînes de commandement militaire et civile a ordonné ou toléré ces sévices et dans quelles mesures les méthodes d’interrogation, qu’elles aient été utilisées par des soldats ou des entreprises sous contrat privé, reflètent une politique expresse ou implicite. »
En vertu du droit international et de la pratique, une enquête n’est effective et crédible qu’aux conditions suivantes:
- elle est conduite par des personnes choisies pour leur impartialité, compétence et indépendance reconnues et qui sont indépendantes de toute institution, agence ou personne qui pourrait être l’objet de l’enquête;
- a l’autorité de contraindre tous les fonctionnaires militaires et civils à paraître devant elle et à témoigner;
- a le pouvoir d’émettre des citations à comparaître aux témoins, y compris aux fonctionnaires qui pourraient être impliqués, d’exiger la production de preuves et d’effectuer des visites immédiates sur place;
- s’assure que les victimes et/ou leurs parents sont impliqués dans le processus et peuvent être représentés;
- prend les mesures nécessaires pour protéger de mauvais traitements, de mesures d’intimidation ou de représailles toute personne impliquée dans l’enquête, y compris ceux qui déposent des plaintes ou sont témoins et;
- conduit à la réparation, y compris à l’indemnisation, qui doit être octroyée aux victimes ou à leurs familles et n’est pas un substitut à la poursuite pénale des responsables à tous les niveaux.
L’enquête devrait aller au-delà des responsabilités pour les actes de torture et de mauvais traitements eux-mêmes. Elle devrait examiner de façon exhaustive l’ensemble du processus d’arrestation et de détention en Irak pour établir quelles autres violations ont lieu et quelles garanties devraient être mises en place pour protéger les personnes à tous les niveaux.
« L’absence de mesures de sauvegarde et de contrôle à partir du moment où une personne est arrêtée par des soldats ou par la police irakienne crée un environnement dans lequel ce genre de violations sont susceptibles de se produire en toute impunité », a rajouté Nicholas Howen.
« Combien de ces détenus n’auraient pas dû en premier lieu être maintenus en détention et combien ont tout simplement disparus ? » a-t-il souligné, compte tenu du rapport du CICR de février 2004 citant des représentants des Forces de la Coalition estimant que 70 à 90% des détenus en Irak ont été arrêtés « par erreur ». Le CICR a également indiqué qu’en manquant à l’obligation de prévenir les familles, nombre de détentions sont en fait des « disparitions de facto ».
« L’expérience partout dans le monde a démontré que des détenus qui sont coupés du monde extérieur, dont la famille n’a aucune idée du lieu où ils sont, ni pourquoi ils ont été arrêtés et qui ne peut s’adresser à aucune cour, font face au risque grave d’être torturés ou tués en détention. Le CICR lui-même n’a pas accès à tout en Irak », a rajouté Nicholas Howen.
L’enquête devrait examiner pourquoi les entreprises sous contrat privé – pour lesquels les Forces de la Coalition demeurent responsables – semblent s’être vu confier des pouvoirs aussi étendus, et devrait recommander la mise sur pied de garanties et de mesures de contrôle.
La CIJ a aujourd’hui invité les experts de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, en particulier le Rapporteur spécial sur la torture, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le Groupe de travail sur la détention arbitraire, à entreprendre une mission conjointe en Irak.
« Nous exhortons le Royaume-Uni et les Etats-Unis à coopérer avec une telle mission d’experts des Nations Unies, de même qu’avec la mission chargée d’examiner la situation des droits de l’Homme en Iraq au cours de l’année écoulée initiée par le Haut-Commissaire par intérim aux droits de l’Homme », a dit Nicholas Howen.
La CIJ a également exprimé son inquiétude quant au fonctionnement de la justice militaire dans le cadre de laquelle ces violations de droits de l’Homme sont poursuivies. A l’occasion du procès qui s’est tenu à Bagdad aujourd’hui, les autorités américaines auraient autorisé l’accès à la salle d’audience aux journalistes, mais l’aurait dénié aux observateurs judiciaires d’organisations de droits de l’Homme.
« Compte tenu de l’intense polémique, les Forces de la Coalition doivent agir de manière transparente», a dit Nicholas Howen, avant d’ajouter « Assurément, les autorités devraient autoriser dans la salle d’audience la présence d’observateurs judiciaires d’organisations de droits de l’Homme qui disposent des connaissances pour confirmer si la justice en effet est rendue».
La CIJ a réitéré sa position selon laquelle, en droit international et dans la pratique, les soldats présumés auteurs de crimes de guerre ou d’autres crimes graves du droit international, tels que la torture, devraient être jugés par un tribunal de droit commun indépendant et impartial, appliquant des procédures normales et suivant les standards usuels en matière de procès équitable.
En vertu du droit international, des personnes qui ont commis des actes de torture ou d’autres crimes internationaux ne peuvent pas échapper à une condamnation en plaidant qu’elles ne faisaient qu’obéir à des ordres.
Les supérieurs, qu’ils soient militaires ou civils, peuvent également être considérés comme pénalement responsables pour les actes commis par des subordonnés sous leur autorité effective ou contrôle, s’ils avaient l’opportunité raisonnable ou l’obligation juridique d’empêcher ou d’arrêter de tels actes.
Peu importe que les supérieurs aient ordonné ou acquiescé les sévices ou qu’ils aient manqué à l’obligation de prévenir ou de faire cesser de tels actes.
C’est dans ce climat d’impunité qu’un civil américain a été décapité en Irak par représailles pour les actes de mauvais traitements et de torture infligés aux détenus irakiens.
La CIJ condamne cette exécution dans les termes les plus forts. Les auteurs d’un tel crime doivent être jugés. Un crime ne saurait en aucun cas justifier la perpétration d’un autre crime.