Les avocats tunisiens bâillonnés par la décision d’une justice aux ordres

Les avocats tunisiens bâillonnés par la décision d’une justice aux ordres

La Cour d’Appel de Tunis a fait droit à la demande de six avocats membres du parti au pouvoir, de faire réformer un appel du Conseil de l’Ordre National des Avocats de Tunisie à la grève générale dans tous les Tribunaux le jeudi 7 février 2002.

Au terme d’un long feuilleton judiciaire, que nos organisations ont suivi par l’envoi d’un observateur, M. Pierre Lyon-Caen, avocat général à la Cour de Cassation de France, à plusieurs audiences , la Cour d’appel a ainsi annulé le mot d’ordre de grève générale lancé par le Barreau, qui visait à protester contre les nombreuses irrégularités et violences survenues au cours du procès du porte parole du Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT), Hamma Hammami, et de ses camarades, procès que les nombreux observateurs internationaux présents à l’audience ont qualifié de véritable insulte pour les droits de la défense.

Il s’agit là d’un précédent très inquiétant, visant très clairement à la mise au pas d’un Barreau jugé trop indépendant, qui se voit ainsi interdire de recourir à la grève, seule arme réelle dont il disposait pour défendre son statut et son rôle de vigilance dans la défense des droits et libertés de tous les Tunisiens.

Elle porte un coup très grave à l’autonomie et au rôle de l’institution démocratiquement élue qui représente la voix d’une large majorité des avocats tunisiens.

L’appel à la grève lancé par le Conseil de l’Ordre avait été très largement suivi, seuls les avocats connus pour leur proximité avec le pouvoir en place ayant refusé d’y participer.

Les six avocats à l’origine de l’action en justice soutenaient le caractère illégal de la décision d’appel à la grève du 2 février 2002, se fondant sur l’article 62 de la loi portant organisation de la profession d’avocats, qui énonce les attributions du Conseil de l’Ordre National, estimant que le Conseil de l’Ordre n’est pas compétent pour prendre une décision appelant à la grève.

A titre de comparaison cependant, il y a lieu de remarquer que la loi tunisienne qui organise le statut de la magistrature prohibe expressément, au contraire de celle qui régit le statut des avocats « toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement de la justice ».

D’autre part, il va de soi que le rôle premier d’un Barreau est celui de défendre les intérêts de ses avocats et de protéger leur intégrité, de manière à leur permettre d’assumer le rôle qui est le leur dans la défense des droits et libertés, et en particulier, dans celui du droit de chacun à un procès équitable .

Cette défense passe parfois, dans de nombreux pays démocratiques, par la grève. Enfin, l’on peut s’interroger sur la question de l’intérêt à agir des demandeurs, qui n’ont nullement été empêchés d’exercer leur profession le 7 février 2002.

L’argument selon lequel ils ne viseraient qu’à défendre leur « droit au travail » qui aurait ainsi été bafoué est démenti par les faits : les avocats proches du pouvoir qui n’ont pas voulu participer au mouvement de grève n’ont jamais été empêchés de travailler ce jour-là.

L’ensemble de ces arguments ont été soulevés par le Conseil de l’Ordre, mais en vain.

Face à un régime politique qui ne tolère aucune forme de critique, le Barreau de Tunisie, riche d’une tradition de réelle indépendance l’un des seuls lieux où s’exprime une réelle forme de résistance dans ce pays, au sein d’un système judiciaire discrédité et gangrené par son allégeance au pouvoir exécutif.

La décision prononcée ce jour par la Cour d’Appel de Tunis vise en réalité à empêcher, au sein du Barreau, toute nouvelle initiative visant à manifester la réprobation des avocats quant à la manière dont la justice traite les affaires politiquement sensibles, ainsi qu’à disqualifier les instances dirigeantes du Barreau, et à mettre à mal son indépendance.

Les associations soussignées assurent le Barreau tunisien de leur solidarité, et appellent les avocats, les associations d’avocats et les Barreaux à manifester leur soutien à leurs confrères tunisiens dans leur lutte pour l’affirmation et le maintien de leur indépendance.

L’indépendance de la justice tunisienne en danger

L’indépendance de la justice tunisienne en danger

La CIJ et Avocats sans-frontières Belgique expriment leur entier soutien au Conseil de l’ordre des avocats tunisiens.

Cet appel intervient alors que le verdict dans l’affaire opposant des avocats tunisiens à leur barreau pour « grève illicite » doit être rendu le 8 juillet 2003, et alors que doit se tenir l’Assemblée générale du barreau le 6 juillet, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT).

Par son mode d’élection, mais aussi par son attachement à la défense des libertés individuelles et notamment à la lutte contre les violences policières, la pratique de la torture et les dysfonctionnements du système judiciaire, l’ordre des avocats représente l’un des derniers rares remparts contre l’arbitraire en Tunisie.

Pour cette raison même, nombre d’avocats sont l’objet de pressions multiples (filatures, intimidation de leurs clients et de leurs proches, campagnes de diffamation,…) et d’actes de violence sérieux et répétés.

La procédure intentée contre le Barreau par six avocats proches du parti au pouvoir (le RCD) est une étape cruciale dans cette stratégie répressive, dont une des composantes est l’instrumentalisation de la justice pour sanctionner toutes les personnes qui osent prendre position contre le pouvoir.

Les poursuites engagées contre le barreau visent à obtenir l’annulation rétroactive de l’appel à la grève lancé par le Conseil de l’ordre du Barreau le 7 février 2002, pour protester contre les nombreuses irrégularités survenues au cours du procès du chef du Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT), Hamma Hamami, ainsi que les violences perpétrées contre les observateurs et avocats à cette occasion.

Au terme de plusieurs audiences, auxquelles nos organisations ont mandaté M. Pierre Lyon-Caen, avocat général à la Cour de Cassation de France, en tant qu’observateur (Cf. Compte rendu de missions internationales d’observation judiciaire, Procès contre l’ordre des avocats, Tunisie, mai 2003), le verdict doit être rendu le 8 juillet.

L’enjeu est de taille. Déposséder le Conseil de l’Ordre du pouvoir d’appeler à la grève – droit consacré par la Constitution tunisienne – permettrait ultérieurement de menacer les participants de poursuites disciplinaires et donc de réduire l’ampleur du mouvement et faire sanctionner plus aisément un nombre plus restreint de participants.

Plus généralement, une telle décision priverait les avocats d’une arme essentielle dans leur combat pour une justice transparente et indépendante.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, la Commission internationale de Juristes et Avocats sans-frontières Belgique demandent avec force aux plus hautes autorités tunisiennes de garantir la totale indépendance de la justice tunisienne lors du délibéré.

Ceci afin que les charges retenues contre le Barreau tunisien soient abandonnées, dans la mesure où celles-ci sont arbitraires en ce qu’elles ne visent qu’à sanctionner l’exercice légitime de ses fonctions.

Nos organisations appellent enfin les autorités tunisiennes à cesser tout acte de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des avocats et magistrats tunisiens qui luttent pour l’indépendance de la justice et le respect des libertés fondamentales en Tunisie, ainsi que de se conformer aux principes de base relatifs au rôle du Barreau adoptés par le huitième Congrès des Nations unies (1990), et aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Tunisie et de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Procès contre l’Ordre des avocats

Procès contre l’Ordre des avocats

Le Centre pour l’indépendance des magistrats et des avocats de la CIJ, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme et Avocats sans frontières (ASF) publient un rapport de missions d’observation judiciaire du procès contre l’ordre des avocats.

Le compte rendu de missions d’observation révèle une fois encore les dysfonctionnements de la justice en Tunisie ainsi que l’écart toujours plus important entre le discours officiel, qui proclame son attachement au respect des droits de l’Homme, et la réalité d’une répression quotidienne de la libre expression dans le pays.

Le droit et le système judiciaire sont souvent utilisés par le pouvoir pour réprimer les opposants de tous bords, celui-ci exerçant une pression constante sur les magistrats pour influer sur les décisions de justice.

En conclusion, il est clair que le procès intenté contre l’Ordre des Avocats n’a pas eu d’autre but que de punir les avocats pour avoir protesté contre le manque d’indépendance de la magistrature et contre des procédures grossièrement inéquitables, qui ôtent toute crédibilité au fonctionnement du système judiciaire tunisien.

Tunisia-trial Bar Association-trial observation report-2003-fra (Texte complet en PDF)

Standards d’indépendance judiciaire: rapport sur la Tunisie

Standards d’indépendance judiciaire: rapport sur la Tunisie

Le Centre pour l’indépendance des magistrats de la CIJ publie aujourd’hui un rapport sur la Tunisie dans lequel il conclut que le gouvernement de Tunisie viole les standards nationaux et internationaux d’indépendance du pouvoir judiciaire.

Le rapport décrit aussi les poursuites judiciaires d’avocats des droits de l’homme, du Conseil de l’Ordre national des avocats et d’organisations non gouvernementales. Plusieurs recommandations sont faites au gouvernement afin d’améliorer la situation actuelle.

Le rapport sert à mettre en lumière certaines situations et à donner une évaluation globale des efforts de la CIJ visant à traiter certains problèmes que connaissent des membres des professions juridiques et des défenseurs des droits de l’homme en Tunisie.

Tunisia-report-fact-finding report-2003-fra (full text in French, PDF)

Tunisie: la CIJ publie un rapport sur les attaques contre juges et avocats

Tunisie: la CIJ publie un rapport sur les attaques contre juges et avocats

Le Centre pour l’indépendance des juges et avocats (CIMA) de la CIJ a publié un rapport sur la Tunisie dans lequel il conclut que l’indépendance du pouvoir judiciaire y est précaire et que les avocats et défenseurs des droits de l’homme sont harcelés et persécutés de façon systématique. 

La CIJ et son CIMA ont tenté d’envoyer à deux reprises une mission d’enquête en Tunisie qui avait pour tâche d’examiner la question de l’indépendance des juges et avocats en Tunisie et d’instaurer un dialogue constructif avec les autorités tunisiennes.

Or, par deux fois, les autorités tunisiennes lui ont refusé l’accès au territoire.

La CIJ et son CIMA ont pu cependant rencontrer à l’extérieur du territoire tunisien de nombreux juristes et défenseurs des droits de l’homme tunisiens. La situation des avocats actifs dans le domaine des droits de l’homme est inquiétante.

En effet , ces défenseurs et parfois même leurs enfants, font l’objet d’attaques physiques, leurs lignes téléphoniques sont sur écoute, ils sont suivis, leurs bureaux sont saccagés et ils se voient souvent refusé l’accès à leurs clients ou à leurs dossiers, les rendant par là-même incapable d’assurer une défense satisfaisante de leurs clients.

Tunisia-attacks on judges-press release-2003-fra (Communiqué de presse complet en PDF)

A voir aussi le rapport complet de la CIJ: Report on Tunisia = Rapport sur la Tunisie

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