L’appel lancé par la Commission de vérité gambienne en faveur des poursuites des anciens responsables qui ont commis de graves violations des droits humains sous la présidence de Yahya Jammeh entre 1994 et 2017 doit être suivi par un processus de responsabilité pénale, ont déclaré ce jour 11 organisations gambiennes et internationales.
Le 25 novembre 2021, la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations de la Gambie (TRRC) a remis son rapport final au président Adama Barrow. Dans une déclaration publique, le président du TRRC, le Docteur Lamin J. Sise, a déclaré que la Commission avait « identifié et recommandé des poursuites contre les principaux responsables de violations et d’abus graves des droits de l’homme » et que « les individus impliqués dans la commission des violations et abus doivent être tenus responsable de leurs crimes. »
Le TRRC a déclaré qu’il avait énoncé les noms de ceux dont il recommandait les poursuites “expressément dans les sections pertinentes du rapport”. Bien qu’il ne les ait pas nommés aujourd’hui, il ne fait aucun doute que Yahya Jammeh figure en tête de cette liste, ont déclaré les organisations.
« Même si elle n’a pas explicitement cité son nom, la Commission ne laisse aucun doute sur le fait que Yahya Jammeh figure en tête des anciens responsables pour lesquels elle a recommandé des poursuites » selon Reed Brody de la Commission internationale de juristes qui travaille avec les victimes de Jammeh. « Ce rapport lance le compte à rebours du jour où Jammeh devra faire face à ses victimes. Que ce soit en Gambie ou devant un tribunal international, il lui sera désormais très difficile d’échapper à la justice ».
La Commission a déclaré avoir relevé que ces abus avaient entraîné la mort de “240 à 250 Gambiens et non-Gambiens aux mains de l’État ou de ses agents.”
Des témoins entendus par le TRRC, parmi lesquels d’anciens auteurs directs, ont liés Jammeh aux meurtres et à la torture de nombreux opposants politiques, à l’assassinat de plus de 50 migrants ouest-africains, à des « chasses aux sorcières » au cours desquelles des centaines de personnes ont été détenues arbitrairement, ainsi qu’à un programme de traitement fictif qui obligeait les gambiens séropositifs à renoncer à leurs traitements pour se soumettre aux soins prodigués par Jammeh. Des survivants et d’anciens assistants ont également décrit comment Jammeh violait et agressait sexuellement les femmes qui lui étaient amenées.
« Les résultats sont là », a déclaré Baba Hydara, dont le père, Deyda Hydara, rédacteur en chef d’un journal, a été assassiné en 2004. « Nous avons la vérité, désormais nous avons besoin de justice, justice pour mon père, justice pour les victimes de Jammeh et pour la société gambienne dans son ensemble ».
Depuis le début des sessions publiques en janvier 2019, la Commission a entendu 393 témoins dont d’anciens membres du gouvernement notamment des ministres, des chefs de police et de renseignements, des membres d’unités paramilitaires des « Junglers », ainsi que de nombreux experts et victimes.
Le TRRC a également déclaré avoir rédigé des recommandations en matière de réparation, d’interdiction pour certaines personnes de travailler dans la fonction publique, l’abrogation des lois et décrets draconiens qui figurent encore dans la loi, les réformes juridiques institutionnelles, ainsi que la formation et le renforcement des capacités du personnel de sécurité.
En vertu de la loi créant le TRRC, le président doit désormais transmettre le rapport complet à l’Assemblée Nationale et aux Nations Unies et publier un résumé public du rapport. Dans un délai de six mois, il devra publier son plan sur la mise en œuvre des recommandations. Les onze organisations exhortent le gouvernement à publier le résumé et commencer immédiatement la mise en œuvre des recommandations. Ils ont déclaré que le gouvernement devrait commencer à planifier dès à présent la création d’un tribunal en vue d’éviter tout retard afférent à son financement ou à sa mise en place.
Les réponses aux recommandations de la Commission ont été centrales dans les élections gambiennes qui auront lieu le 4 décembre 2021.
Jammeh, qui a dirigé la Gambie de 1994 à 2017 vit en exil en Guinée Equatoriale depuis son départ de Gambie en janvier 2017, après sa défaite face à Adama Barrow lors de l’élection présidentielles dont il a refusé d’accepter les résultats. Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang a déclaré qu’il « protégerait » Jammeh de toute poursuite, mais la ratification par la Guinée équatoriale de la Convention des Nations unies contre la torture de 1984 l’oblige à poursuivre ou à extrader les tortionnaires présumés tels que Jammeh qui se trouvent sur son territoire. Les groupes ont exprimé l’espoir que d’autres pays dont les citoyens ont été tués par le régime de Jammeh se joindront à la Gambie pour demander le procès de Jammeh.
« Je me bats depuis 15 ans pour la vérité et pour que justice soit rendue à mes compagnons qui ont été tués”, a déclaré Martin Kyere, du Ghana, seul survivant de plus de 50 migrants ouest-africains originaires de huit pays, qui auraient été tués par les Junglers sur ordre de Jammeh. Kyere a sauté dans la forêt depuis un camion en marche transportant d’autres migrants détenus et est rentré au Ghana pour rallier les familles des victimes. “Le Ghana, le Nigeria, le Sénégal et tous les pays dont des citoyens ont été tués devraient soutenir une enquête criminelle sur Jammeh dans le massacre des migrants. »
Trois complices présumés de Jammeh ont déjà été arrêtés et font l’objet d’enquêtes ou attendent leur procès à l’étranger en vertu du principe juridique de compétence universelle, notamment deux anciens Junglers, Michael Sang Correa aux États-Unis et Bai L. en Allemagne, ainsi que l’ancien ministre de l’intérieur de la Gambie, Ousman Sonko, en Suisse.
Les onze organisations qui appellent à la responsabilité comprennent : l’Africa Centre for International Law and Accountability (ACILA), AIDS-Free World, le Center for Justice and Accountability, EG Justice (Guinée Equatoriale), le Gambia Center for Victims of Human Rights Violations, Guernica 37 International Justice Chambers, Human Rights Watch, la Commission internationale de juristes, la foundation Solo Sandeng, TRIAL International, et WAVE (the Women’s Association for Victims‘ Empowerment).
Pour lire la déclaration du TRRC par son président, le Docteur Lamin J. Sise, cliquez ici.
Pour visionner la vidéo de HRW, « Vérité et justice en Gambie », cliquez ici.