COVID-19 et détention provisoire en France: fin d’une situation contraire à la protection des droits de l’Homme

COVID-19 et détention provisoire en France: fin d’une situation contraire à la protection des droits de l’Homme

Un article de Martine Comte, Commissaire française de la CIJ. (Avec une mise à jour)

En raison de la crise sanitaire, la loi française n° 2020-290 du 23 mars 2020 habilitait le gouvernement à adapter notamment, par ordonnance, diverses règles de procédure pénale, compte tenu des circonstances.

C’est ainsi que l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 prorogeait de plein droit les délais maximums de détention provisoire d’une durée allant de 2, 3 ou 6 mois selon la peine encourue.

L’interprétation de ce texte donnée par le Ministère de la Justice aboutissait à priver les détenus de tout examen contradictoire par un juge de cette prolongation, avec l’assistance d’un avocat, et allongeait automatiquement la durée maximale de détention provisoire possible, et ce, malgré différents recours, tous  rejetés par  le Conseil d’État.

Cette situation, contraire à la convention européenne des droits de l’Homme, au pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ne cessait d’être dénoncée par différents juristes, qu’ils soient magistrats, avocats ou professeurs de droit, et bien sûr, par les défenseurs des droits de l’Homme .

Elle avait donné lieu à un précédent article sur ce site.

C’est dans ces conditions que le Parlement a adopté, le 11 mai 2020, la loi n° 2020-546 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, publiée le 12 mai 2020, après décision du conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 .

Cette loi  modifie notamment l’article 16 précité  de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et crée un article 16-1 qui met fin, à partir du 11 mai, à la prolongation de plein droit des titres de détention provisoire qui arrivent à échéance, le débat contradictoire devant un juge avec l’assistance d’un avocat redevenant la règle.

Par ailleurs, la prolongation de plein droit du délai de détention intervenue au cours de l’instruction avant le 11 mai 2020, en vertu  de l’article 16  précité, n’a pas pour effet d’allonger la durée maximale totale de la détention en application des dispositions de code de procédure pénale, sauf si cette prolongation a porté sur la dernière échéance possible .

Enfin, pour tenir compte des prolongations intervenues avant le 11 mai, ou pour les détentions venant à échéance entre le 11 mai et le 11 juin, des dispositions particulières prévoient l’obligation d’une audience contradictoire devant le juge selon des modalités précises et dans des délais contraints .

Si l’on peut se réjouir que le Parlement ait mis fin à une situation portant atteinte de façon considérable aux droits et libertés fondamentales, il n’en reste pas moins que les juridictions vont devoir appliquer, dans des conditions particulièrement difficiles, des dispositions complexes, et  statuer, dans des délais brefs, sur des prolongations de détention intervenues sans aucun contrôle et sans débat ou venant prochainement à échéance.

Il eût finalement été plus simple de respecter dès le départ les garanties fondamentales découlant de la présomption d’innocence et soumettant la privation de liberté avant procès au contrôle d’un juge indépendant, dans le cadre d’un débat contradictoire, avec l’assistance d’un avocat.

Il faut enfin noter que ce texte intervient quelques jours avant que la cour de cassation ne statue sur différents recours portant sur ce point et que sa décision constituera une référence pour savoir comment concilier, dans un contexte tout à fait exceptionnel,  les droits humans et les libertés fondamentales avec les impératifs de continuité du fonctionnement des institutions.

Note et mise à jour de la CIJ:  Le 26 mai, la cour de cassation a rendu deux arrêts levant les incertitudes sur la mise en oeuvre de l’article 16 de l’Ordonnance n°202-303 du 25 mars 2020 prévoyant la prolongation de plein droit des détentions provisoires. Voir le communiqué et le jugement ci-dessous:

Communiqué

Arrêt détention

 

 

COVID-19 et détention provisoire en France : le difficile équilibre

COVID-19 et détention provisoire en France : le difficile équilibre

Un article de Martine Comte, Commissaire française de la CIJ.

En France, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a introduit de nouvelles dispositions en matière pénale et a habilité le gouvernement à adapter notamment, par ordonnance, compte tenu des circonstances, diverses règles de procédure pénale.

Ce texte a notamment prévu « d’adapter les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires pour permettre l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun (…) et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites du prévenu et de son avocat ».

Dans ce cadre, l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a prorogé de plein droit les délais maximums de détention provisoire   d ‘une durée de 2, 3 ou 6 mois selon la peine encourue.

Ce texte, combiné aux dispositions de la loi d’habilitation, a donné lieu à deux interprétations divergentes :

– La première, contenue dans la circulaire du ministère de la Justice en date du 26 mars 2020, complétée par une réponse faite à la conférence des premiers présidents de cours d’appel, considère que la notion de délais maximum n’est pas « entendue comme s’appliquant à la durée totale cumulée de détention, mais à la durée du titre de détention en cours ».

Prenons l’exemple d’une instruction en matière criminelle, qui autorise en temps normal la détention provisoire pour une durée de 1 an, renouvelable à deux reprises pour une durée de 6 mois, soit une durée maximale de 2 ans. Dans ce cas, chaque prorogation ne peut être ordonnée que par un juge après débat contradictoire avec avocat.

Ainsi, les prolongations de la détention initiale ordonnée en février 2020 donneraient lieu à débat contradictoire devant un juge en février 2021, puis en août 2021 pour se terminer au plus tard en février 2022 (soit 2 débats contradictoires).

Dans cet exemple, si l’on applique la prolongation de détention prévue par la loi du 25 mars 2020 de 6 mois, une personne placée en détention provisoire au mois de février 2020 serait privée de débat contradictoire devant un juge jusqu’en août 2021, au lieu de février 2021, et aurait droit à un débat contradictoire sur la prolongation en février 2022, la durée maximale de détention prenant fin en août 2022 (soit 2 débats de prolongation).

– La seconde, partagée par différentes associations et syndicats, considère que l’allongement prévu ne s’applique qu’à l’issue des délais maximums de détention, c’est à dire à la fin de la durée totale maximale (ou durée plafond) de cette détention et que la loi d’habilitation ne peut avoir pour effet de priver le détenu de son droit à un débat contradictoire à chaque prolongation.

Si l’on prend le même exemple, avec application de la loi du 25 mars 2020, une personne placée en détention provisoire au mois de février 2020 verrait sa situation examinée dès février 2021, puis en août 2021. Le délai plafond de la détention provisoire étant de 2 ans, il appartiendrait dès lors au juge compétent, en février 2022, s’il en était besoin, de statuer sur la prolongation exceptionnelle de 6 mois, soit jusqu’à août 2022 (soit 3 débats).

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a été saisi et a, par décision du 3 avril 2020, rejeté les recours formés pour obtenir la suspension des dispositions des articles 16, 17 et 18 de l’ordonnance du 25 mars 2020 et /ou de l’exécution de la circulaire susvisée, et a implicitement entériné la position du Ministère de la Justice.

Les conséquences de cette décision posent le problème du nécessaire équilibre entre les droits fondamentaux de la personne détenue et les difficultés des juridictions confrontées à la crise sanitaire.

En effet, la prorogation systématique du titre de détention en cours prive les détenus de la possibilité, prévue par le code de procédure pénale, de voir leur situation examinée par un juge à la fin de la durée de ce titre de détention dans le cadre d’un débat contradictoire, avec l’assistance d’un avocat.

Le fait que les détenus ou le ministère public puissent saisir le juge d’une demande de mise en liberté ne peut être de nature à remédier à cette modification substantielle des droits des personnes en détention provisoire, dans la mesure où on ne peut remplacer par une demande, toujours aléatoire et conditionnée par de multiples éléments, un droit fondamental à bénéficier d’un examen de la prolongation de détention dans le cadre d’un débat contradictoire devant un juge.

Par ailleurs, la possibilité d’utiliser l’écrit, ou la visioconférence, développée dans le cadre des mesures de lutte contre l’épidémie, permettent de garantir la sécurité de tous, détenus comme magistrats ou avocats.

Il convient également d’insister sur le fait que les investigations menées dans le cadre de l’instruction sont extrêmement perturbées, eu égard aux difficultés engendrées par le confinement, ce qui renforce la nécessité d’un examen contradictoire de la situation des détenus, aux échéances « normales » au regard notamment des conditions de détention et de propagation du virus.

Enfin, le dispositif, tel qu’il résulte de la loi du 25 mars 2020 et de la circulaire d’interprétation n’est, me semble-t-il, pas conforme aux articles 5 et 6 de la convention européenne des droits de l’homme, et à l’article 9 et 14 de la Pacte International relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où il restreint considérablement le contrôle effectif de cette privation de liberté par un juge indépendant, dans le cadre d’un débat contradictoire et avec l’assistance d’un avocat.

Il revient maintenant à la cour de cassation, et, peut-être à la CEDH, de trancher ce débat, au risque que le Covid-19, s’il porte une atteinte dramatique à la vie, à la santé et aux conditions de vie, actuelles et futures, des personnes, n’ait aussi pour conséquence une atteinte disproportionnée aux droits et libertés fondamentales.

 

 

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