Reed Brody, commissaire à la CIJ: «Vingt ans après, l’arrestation de Pinochet reste une source d’inspiration»

Reed Brody, commissaire à la CIJ: «Vingt ans après, l’arrestation de Pinochet reste une source d’inspiration»

Le 16 octobre 1998, l’ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet, a été arrêté à Londres sur mandat d’un juge espagnol. Reed Brody a participé à la procédure judiciaire ultérieure.

Reed Brody a ensuite appliqué le «précédent Pinochet» dans la poursuite marquante de l’ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, reconnu coupable de crimes contre l’humanité au Sénégal en 2016.

Il travaille maintenant avec les victimes de l’ancien dictateur de Gambie, Yahya Jammeh. La CIJ a interrogé Brody sur l’affaire Pinochet et son héritage.

Quel a été votre rôle dans l’affaire Pinochet?

Mon rôle a commencé lorsque Pinochet a été arrêté à Londres. L’affaire a commencé bien avant, bien sûr, dans les premières années de la dictature de Pinochet, lorsque de courageux militants des droits de l’Homme ont documenté chaque cas de meurtre et de «disparition».

La CIJ a travaillé avec ces défenseurs pour produire un rapport crucial sur ces crimes en 1974, six mois seulement après le coup d’État de Pinochet. Exlus des tribunaux chiliens, même après la transition démocratique de 1990, les victimes et leurs avocats ont engagé une action en justice contre Pinochet en Espagne en vertu de la loi en matière de “compétence universelle”, et lorsque Pinochet s’est rendu à Londres, le juge espagnol Baltasar Garzón a demandé et obtenu sa détention.

Lorsque Pinochet a contesté son arrestation devant un tribunal, affirmant son immunité en tant qu’ancien chef d’État, je me suis rendu à Londres pour le compte d’Human Rights Watch, et avec Amnesty International nous avons obtenu le droit d’intervenir avec des équipes d’avocats dans les procédures auprès du comité judiciaire de la Chambre des lords, la plus haute cour de Grande-Bretagne.

Les Lords ont cité nos recherches pour rejeter l’immunité de Pinochet.

Vous avez décrit la décision des Lords concernant Pinochet comme un «signal d’alarme» pour des tyrans où qu’ils soient. En regardant en arrière, pensez-vous que c’était le cas?

En fait non, je pense qu’il serait difficile de discerner un changement de comportement des dictateurs. Mugabe n’a pas tremblé dans ses bottes, Saddam n’a pas mis de l’ordre dans ses affaires.

L’effet le plus important et le plus durable de l’affaire était de donner espoir à d’autres victimes et militants. Lorsque les Lords ont décidé que Pinochet pouvait être arrêté n’importe où dans le monde, malgré son statut d’ancien chef d’État, le mouvement était en effervescence.

En tant qu’avocat des droits de l’Homme, j’avais l’habitude d’avoir raison légalement et moralement, mais de perdre quand même. Dans l’affaire Pinochet, non seulement nous avons gagné, mais nous avons également confirmé la détention de l’un des dictateurs les plus emblématiques du monde.

L’affaire Pinochet a incité des victimes d’abus un pays après l’autre, notamment en Amérique latine, à contester les dispositions transitoires des années 80 et 90 qui permettaient aux auteurs d’atrocités de rester impunis et, souvent, de rester au pouvoir.

Ces arrangements temporaires avec l’ancien régime n’ont pas éteint la soif des victimes de traduire leurs anciens bourreaux en justice .

Comment êtes-vous passé de Pinochet à Habré?

Avec Pinochet, nous avons vu que la compétence universelle pouvait être utilisée comme un instrument permettant de traduire en justice des personnes qui semblaient hors de portée de la justice.

Ensemble avec des groupes comme Amnesty, la FIDH et la CIJ (qui a rédigé un important rapport sur l’affaire Pinochet et de ses leçons), nous avons eu des réunions  pour déterminer qui pourrait être le «prochain Pinochet».

C’est alors que Delphine Djiraibe de l’Association tchadienne des droits de l’Homme nous a demandé d’aider les victimes de Habré à le traduire en justice dans son exil sénégalais.

J’étais enthousiaste à la perspective de persuader un pays du Sud, le Sénégal, d’exercer une compétence universelle, car il existait un paradigme en développement dans lequel les tribunaux européens poursuivaient les accusés de pays anciennement colonisés.

Cela nous a pris 17 ans, mais Habré est devenu la première mise en accusation d’un ancien chef d’État grâce à la compétence universelle, et même le premier procès de compétence universelle en Afrique.

L’année 1998 a été un seuil important pour la justice internationale avec l’adoption du Statut de Rome de la CPI et l’arrestation de Pinochet. Ni la CPI ni les juridictions universelles n’ont été à la hauteur de leurs attentes. Pourquoi?

La justice internationale ne fonctionne pas dans le vide, elle est conditionnée par la structure du pouvoir mondial. Chaque cas, que ce soit au niveau de la CPI ou au niveau transnational, est le produit des forces politiques qui doivent être mobilisées ou repoussées pour permettre à une mise en accusation de progresser.

Ces forces, en particulier depuis le 11 septembre 2001, ont été hostiles à l’application des droits de l’homme en général et à la justice en particulier. La compétence universelle a été soumise aux mêmes doubles standards que la CPI.

Les lois en matière de juridiction universelle belge et espagnole, qui étaient les plus larges au monde, ont été abrogées lorsqu’elles ont été utilisées pour enquêter sur des actions de superpuissances.

Mais bon nombre des cas les plus réussis ont été ceux dans lesquels les victimes et leurs défenseurs militants ont été les forces motrices, ont rassemblé les preuves elles-mêmes, construit une coalition de plaidoyer plaçant les victimes et leurs récits au centre de la lutte pour la justice, et ont aidé à créer la volonté politique dans l’État du for.

Je ne pense pas seulement à Habré, mais aux poursuites pour génocide au Guatemala de l’ancien dictateur Efraín  Ríos Montt, l’affaire haïtienne du «président à vie», Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier, les affaires libériennes  portées à travers le monde par Civitas Maxima et ses partenaires, les affaires suisses initiées par TRIAL International et le litige sur la Syrie par ECCHR et d’autres.

Ces affaires ont été portées devant les tribunaux nationaux du pays dans lequel les atrocités ont été commises (Guatemala, Haïti) ou de pays étrangers fondés sur une compétence universelle plutôt que devant des tribunaux internationaux.

La plupart de ces affaires ont tiré parti de régimes juridiques autorisant les victimes à participer directement aux poursuites en tant que «parties civiles» ou «acusación particular» plutôt que de jouer des rôles passifs ou secondaires dans des affaires uniquement intentées par des responsables nationaux ou internationaux.

Comment les poursuites engagées par les victimes sont-elles différentes des affaires institutionnelles?

Quand ce sont les victimes et leurs alliés qui amènent les cas devant un tribunal, qui recueillent les preuves et qui ont qualité pour agir, les procès ont plus de chances de répondre à leurs attentes.

Dans l’affaire Rios Montt, par exemple, l’Asociación Para la Justicia y Reconciliacion (AJR) et le Centro Para la Acción Legal and Derechos Humanos (CALDH) ont mobilisé les victimes, développé les éléments de preuve, défini le récit et, pour l’essentiel, déterminé les contours du dossier et choisi les témoins qui témoigneraient pour l’accusation.

Dans l’affaire Habré, nous avons passé 13 ans à construire le dossier, à interroger des centaines de victimes et d’anciens responsables et à mettre à jour les dossiers de la police du régime. La coalition des victimes a toujours insisté pour que tous les procès incluent des crimes commis contre chacun des groupes ethniques victimes au Tchad, et c’est exactement ce qui s’est passé.

En revanche, un procureur éloigné, déconnecté des discours nationaux et, par nature, pas redevable face aux victimes et à la société civile, peut être tenté de restreindre à sa guise les poursuites en justice dans l’espoir d’obtenir une condamnation ou d’éviter une résistance politique.

C’est le cas de la CPI en République démocratique du Congo, par exemple, où, comme le soutient Pascal Kambale, elle a trahi les espoirs des victimes.

Des millions de civils sont morts en RDC et Luis Moreno Ocampo ne s’en est pris qu’à deux chefs de guerre locaux. Je pense que l’actuel procureur accorde plus d’attention aux réalités locales.

L’inspiration tirée des cas menés par les victimes est également plus grande et peuvent, dans une certaine mesure, être reproduits. Comme Naomi Roht-Arriaza l’a écrit, ces affaires ont «suscité l’imagination et ouvert des possibilités, précisément parce qu’elles semblaient décentralisées, moins contrôlables par les intérêts de l’État et davantage, si vous voulez, d’actions imaginables ».

Quand j’ai montré aux victimes tchadiennes des clips vidéo du procès Ríos Montt, elles ont vu dans ces images exactement ce qu’elles essayaient de faire.

Tout comme les Tchadiens sont venus nous voir dans l’affaire Habré pour tenter de faire ce que les victimes de Pinochet avaient fait, notre espoir en portant l’affaire Habré devant les tribunaux était que d’autres survivants s’inspirent de ce que les victimes de Habré ont fait et disent: «Vous voyez ces personnes , ils se sont battus pour la justice et n’ont jamais abandonné. Nous pouvons le faire également.”

Et en effet, les victimes libériennes et gambiennes ont structuré leurs campagnes en faveur de la justice sur ce que les victimes de Habré ont fait. Ainsi, l’affaire Pinochet continue d’être une source d’inspiration.

La CIJ publie un questions-réponses juridique sur le crime de génocide

La CIJ publie un questions-réponses juridique sur le crime de génocide

Aujourd’hui, la CIJ a publié une note d’information juridique sous la forme d’un questions-réponses (uniquement disponible en anglais) dans laquelle elle énonce ce qui est requis pour pouvoir prouver un génocide, et en particulier, l’élément d’«intention génocidaire».

La note d’information de la CIJ sort au moment où la Mission internationale indépendante  d’établissement des faits au Myanmar (FFM) appelle à enquêter les crimes commis au regard du droit international, y compris le génocide.

Le génocide est un crime particulièrement odieux dont la genèse en tant que crime de droit international réside dans la politique d’extermination du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.

En vertu du droit international coutumier et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 («convention sur le génocide»), tous les États ont le devoir de prévenir et de punir le génocide.

Les agences des Nations Unies et des experts indépendants ont rapporté des informations crédibles et cohérentes selon lesquelles des crimes graves en vertu du droit national et international ont été commis contre les musulmans Rohingya au Myanmar, y compris les crimes contre l’humanité de déportation, viol et meurtre.

Un certain nombre d’experts et d’autorités ont également suggéré qu’un génocide avait été commis et ont demandé des enquêtes à ce sujet.

Aujourd’hui, la FFM a demandé l’ouverture d’une enquête sur un génocide dans le nord de l’État de Rakhine, ainsi que sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans les États de Rakhine, Kachin et Shan.

Cette annonce fait suite à la déclaration du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, en décembre 2017, selon laquelle “des éléments de génocide pourraient exister”.

Et en mars 2018, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme au Myanmar, Yanghee Lee, et le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, ont évoqué la possibilité que le traitement des Rohingyas par le Myanmar puisse constituer un génocide.

Les Rohingyas constituent la grande majorité des plus de 700’000 personnes déplacées à la suite d’opérations de sécurité commandées par l’armée du Myanmar dans le nord de l’État de Rakhine, à la suite d’attaques perpétrées le 25 août 2017 par l’Armée Arakan Rohingya (ARSA).

Le génocide est un crime complexe qui, dans de nombreux cas, peut être difficile à établir au-delà du doute raisonnable dans un procès.

L’un des domaines qui s’est révélé particulièrement difficile est la nécessité de prouver «une intention spéciale» ou une «intention génocidaire», qui est un élément constitutif et distinctif essentiel du crime de génocide.

La note d’information juridique devrait aider ceux qui examinent si un génocide a été commis contre la population Rohingya et, dans l’affirmative, si quelqu’un peut être tenu individuellement pénalement responsable.

La note d’information juridique répond aux questions suivantes:

1. Quelle est la définition du génocide?

2. Que signifie légalement une “intention génocidaire”?

3. Quelles sont les similitudes et les différences entre les crimes relevant du droit international en matière de persécution et de génocide?

4. Comment les différentes juridictions ont-elles abordé les intentions génocidaires de manière factuelle?

5. Dans quelle mesure l’élément d’intention des crimes sous-jacents contre l’humanité en matière de de déportation ou de transfert forcé à l’intention génocidaire est-il pertinent?

Contact

Kingsley Abbott, ICJ Senior Legal Adviser, t: +66 (0)94 470 1345 ; e: kingsley.abbott(a)icj.org

Download

Universal-Genocide Q & A FINAL-Advocacy-analysis brief-2018-ENG (PDF en anglais)

Zimbabwe: il faut mettre fin à la violence, rétablir l’état de droit et le respect des droits de l’Homme

Zimbabwe: il faut mettre fin à la violence, rétablir l’état de droit et le respect des droits de l’Homme

La CIJ condamne avec la plus grande fermeté les violences qui ont éclaté au Zimbabwe après les élections et appelle au rétablissement de l’état de droit et au respect des droits de l’Homme.

Au moins trois personnes seraient mortes à Harare le 1er août suite à l’utilisation de balles réelles par les Forces de défense du Zimbabwe (ZDF) «pour disperser» des manifestants non armés dans le quartier central des affaires de Harare.

Des membres de la ZDF auraient tiré à balles réelles sur la foule en fuite et auraient agressé des personnes sans distinction, causant des blessures et des pertes en vies humaines.

Bien que la CIJ ne pardonne pas les actes de violence commis par les manifestants et les partisans du parti au pouvoir, elle condamne fermement l’utilisation intentionnelle d’armes mortelles et d’autres actes de la ZDF qui étaient disproportionnés et inutiles dans les circonstances.

Selon la CIJ, les troubles auraient pu être maîtrisés d’une manière compatible avec les obligations internationales du Zimbabwe en matière de droits de l’Homme, ce qui aurait pu éviter des pertes en vies humaines et des blessures aux manifestants et aux passants.

«Le recours à la force létale contre des manifestants non armés ne doit jamais être toléré», a déclaré Sam Zarifi, secrétaire général de la CIJ.

“L’utilisation mortelle et intentionnelle d’armes à feu ne peut être effectuée que lorsqu’elle est absolument inévitable pour protéger la vie”, a-t-il ajouté.

La CIJ rappelle aux autorités zimbabwéennes leur engagement vis-à-vis de l’état de droit, du constitutionnalisme et de la protection des droits de l’Homme prévus par la Constitution et le droit international relatif aux droits de l’Homme.

La CIJ les appelle à respecter l’état de droit et à protéger les droits de l’Homme pendant cette période postélectorale.

La CIJ exhorte les autorités responsables à demander des comptes aux membres de la ZDF responsables des pertes en vies humaines et des mutilations physiques lors des manifestations du 1er août.

Contact:

Arnold Tsunga, Director of the Africa Regional Programme, International Commission of Jurists C: +263 77 728 3248, E: arnold.tsunga(a)icj.org

La CIJ évalue la nouvelle constitution tunisienne

La CIJ évalue la nouvelle constitution tunisienne

Dans une prise de position publiée aujourd’hui, la CIJ évalue la conformité des principales dispositions de la nouvelle constitution avec le droit et les normes internationales. 

Le 26 janvier 2014, trois ans après l’éviction du président Ben Ali, l’Assemblée nationale constituante tunisienne a voté pour sa nouvelle constitution.

La CIJ estime que la constitution adoptée est le produit d’un processus représentatif et inclusif.

Néanmoins, à certains égards, la constitution est en deçà du droit international et des normes internationales.

A ce titre, la CIJ recommande aux autorités tunisiennes de prendre en compte les déficiences de la constitution mise en évidence dans ce document.

Tunisia-Evalusation Nouvelle Constitution-Advocacy-Position Paper 2014-Fr (Texte complet en PDF)

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